Claudio n’est pas sculpteur. Ou plutôt, si : il sculpte en dessinant et trouve son plaisir dans le nu masculin. Depuis les Beaux-Arts, il s’efforce de faire sortir la matière de sa feuille, de donner à sa surface une troisième dimension, de faire apparaître la force du relief et le relief de la force.
C’est pour cela qu’il a abouti au nu masculin, conclusion d’un parcours très personnel qui a traversé la création graphique, le cubisme et l’art abstrait, avec une éternelle admiration pour Picasso.
Le nu masculin, c’est ce qui manquait aux Beaux-Arts : le nu féminin qui s’imposait alors est tout en courbes et en grâce, mais n’est pas Botticelli qui veut. Les femmes de Michel-Ange ne sont pas les plus douces, son dessin tout en force avantageait les modèles hommes.
Dans le nu masculin on retrouve la ligne droite, la tension, la densité du volume… Son parcours artistique est aussi un parcours personnel et, reconnaît-il, son attirance n’est pas qu’esthétique même si sa relation au modèle est d’abord une relation de créateur, avec toujours la curiosité impatiente de savoir s’il « sentira » son sujet.
Son approche du modèle est donc toute en découverte, en apprivoisement. Armé de son fusain comme d’un scalpel, il hésite peu et taille, coupe, sculpte son volume à grands traits, les yeux mi-clos. Un travail, un vrai, où le bon dosage entre sensibilité et sensualité doit lui permettre d’appréhender son modèle, de le projeter non pas comme un reflet statique mais comme une image vivante et réelle. Eternel travail de l’artiste, fait d’effort et de patience.
Et refus de l’esthétisme : ses modèles apparaissent réels, ni beaux, ni laids mais réels, tout simplement. Peu de ses modèles sont des jeunes, plus réticents à se montrer nus, explique-t-il. Plutôt des hommes mûrs, qui n’ont pas de problème avec leur corps.
Un seul jeune est là, un asiatique, dessiné d’un trait fin et sûr, comme une estampe chinoise. Une affaire d’intuition, de perception d’une intensité particulière et secrète. Un autre de ses modèles est parti fâché de se découvrir plus gros qu’il ne se voyait. Mais l’artiste ressent ce qu’il voit, il n’est pas là pour décrire l’imaginaire, ce serait tricher avec son art…
Ce qu’il cherche, c’est aller toujours plus loin dans la sensation, dans le ressenti, ce qui n’est pas évident dans le monde actuel où tout est fugace et superficiel.
Création lente et progressive, plusieurs esquisses au fusain sont le préalable indispensable à la composition en couleurs. Le temps que s’établisse entre l’artiste et son modèle une silencieuse complicité, faite de regards volés et de désirs contenus. Le temps que cette attente immobile devienne un jeu, que l’artiste arrive à transmettre son émotion.
Une émotion qui n’a rien de pervers, mais qui est forte de sa spontanéité. Il cite à nouveau Picasso, pour qui « la peinture me fait faire ce qu'elle veut ». Claudio avoue une grande admiration pour l'œuvre et la puissance de travail du personnage. Une force qui le fait tendre vers un cubisme évident, vers une matérialisation de ses formes qui lui donne envie de passer à la sculpture.
Pas peur de se lancer dans une discipline beaucoup plus longue en exécution ? Pas forcément, il peut travailler à partir de plusieurs esquisses rapides puis transposer le sujet en terre modelée. Comme le Créateur il insuffle vie à sa création, sans exclure tout ce que ce vivant peu induire. Pourquoi le cacher quand ce n’est pas possible, il arrive que le désir projeté provoque en retour un désir spontané chez son sujet, que ce dernier ne peut dissimuler.
Aisi un désir peut s'établir indirectement entre les deux protagonistes, pourquoi s'en cacher ? Le peintre avoue, sans faux semblants, qu’il imagine pouvoir prolonger parfois la caresse d'un trait au fusain par des caresses effectives accentuant son excitation, surtout si le modèle montre son plaisir. Il peut, aboutissement de la complicité, joindre ainsi à un plaisir charnel un plaisir intellectuel. Ce qui est rare et très passionnant dans le vrai sens du terme
De tout temps pour l'artiste créateur le désir est une constante. Par exemple Courbet en peignant l'origine du monde devait sans aucun doute éprouver du désir pour son modèle. Mais ce qui est spécifique au nu masculin, c'est de ressentir la sensualité qui jusque-là n'était pas démontrée ou soulignée ; l'homme devait surtout être puissant et idéalement "taureau".
Aujourd'hui beaucoup de tabous sont tombés, l’homme peut être librement représenté avec sa sensuelle féminité comme avec sa virilité, on peut atteindre sa sensualité dans le "rendu" graphique ou pictural du grain de la peau, de sa musculation à travers les poses les plus suggestives. Même la représentation d'un sexe en érection ne sera plus tabou, sans que l’art pour autant devienne pornographe…
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